samedi 11 octobre 2014

COMMENT NE PAS ABÎMER SON ENFANT ?

On fait tous des erreurs en éducation. Si les grandes formes de maltraitance (toxicomanie, inceste, négligence, violence physique, harcèlement psychologique) sont connues par tous les parents, il en existe d’autres, plus invisibles, plus sournoises, qui peuvent impacter aussi durablement un enfant...

Ton enfant comme un être vivant et libre tu considèreras.

« Un enfant n’est pas une machine, livrée avec un mode d’emploi, rappelle Virginie Dumont, psychologue, responsable pédagogique dans une association d’éducation et de prévention* et auteur de « Comment rater l’éducation de ses enfants ? » (Fleuve Noir). Un enfant pleure, vous réveille la nuit, tombe malade rarement au bon moment… Inutile par conséquent de chercher à tout maîtriser, à élaborer un dogme éducatif, à essayer d’être un parent parfait, pour viser le risque zéro. C’est peine perdue. Et surtout contre-productif. Cette attitude génère angoisse et culpabilité et entrave la libre adaptation à ce qu’il est et à ses besoins (qui évoluent en permanence). »

Ta vie de femme ou d’homme tu vivras.

Un enfant ne doit pas être se sentir au centre du monde, tout-puissant, mais rester à sa place d’enfant.  Il a besoin de comprendre que sa mère ou son père est aussi une femme ou un homme, qui ne vit pas qu’à travers lui, qui a une vie amoureuse (l’autre parent ou une tierce personne en cas de séparation). « On montre ainsi à l’enfant sa capacité à vivre sa vie d’adulte, explique le Dr Philippe Lacadée, psychiatre, psychanalyste et auteur de « Le malentendu de l’enfant ; que nous disent les enfants et les adolescents d’aujourd’hui ? » (Editions Michèle). C’est à ce prix qu’on gagne son respect et qu’on peut « faire autorité ». Sans compter que des parents qui s’aiment ou sont de nouveau capables d’aimer se « décollent » plus facilement de leur enfant à l’adolescence. Celui-ci ressentira alors sans doute moins la nécessité de « couper le cordon » de manière violente.

A la tentation de l’airbag tu échapperas.

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Notre enfant, c’est notre trésor, le plus précieux. On voudrait tellement lui éviter de souffrir, de connaître l’échec, la frustration. « Mais prendre ses désirs pour des besoins à satisfaire est une garantie absolue de faire de lui un insatisfait chronique », met en garde Virginie Dumont qui rappelle que le rôle du parent est d’équiper l’enfant pour faire face aux difficultés de la vie, inévitables. « Couvrir un enfant de cadeaux, satisfaire tous ses désirs tout de suite, comme si c’était Noël tout le temps, ne l’aide pas à se construire. En se comportant ainsi, le parent cherche à se récompenser, à faire de son enfant un miroir gratifiant de lui-même. »

Le devoir de reconnaissance tu lui épargneras.

« Avec tous les sacrifices ce que j’ai fait pour toi ! » : à bout d’arguments pour le convaincre de se plier à notre demande, on finit par sortir l’arme fatale : le chantage affectif. « Peu d’entre nous échappent à cette « dette de vie », analyse la psychologue. Pour nous en délivrer, nous quittons père et mère pour aller à la rencontre de l’autre sexe, transmettre la vie à notre tour et prendre place dans la société. Mais lorsque l’enfant est sans cesse exhorté à témoigner de sa « reconnaissance », lorsqu’il est en « débit bancaire chronique », la « dette », excessive, paralysante, peut l’empêcher de devenir adulte et parent pour rester à jamais l’enfant de ses parents. »

Pas trop de projections sur lui tu feras.

C’est normal et utile d’avoir des rêves et des aspirations pour son enfant. « Mais lorsque nos exigences l’empêchent d’être ce qu’il est, entravent l’émergence de ses désirs, l’enfant ne peut s’épanouir », analyse Virginie Dumont. Il n’est alors guidé que par le « fais plaisir » ou le « sois gentil », qui envoient ensuite tant d’enfants devenus adultes chez le psy ! Selon la psychologue, le culte de la performance est peut-être aujourd’hui la plus menaçante des pression. « Fais un bon métier » est le leit-motiv de nombreux parents angoissés par la crise. Mais que signifie « bon » ? « Celui qu’on a choisi pour son enfant ? Le nôtre ? Celui qu’on aurait aimé exercer ? A méditer…

Cohérent tu seras.

Rien n’est plus déstabilisant pour un enfant qu’un parent qui pratique régulièrement l’ « injonction paradoxale », cet art qui consiste à dire une chose et son contraire, ou à dire quelque chose et à exprimer le contraire, comme par exemple disputer son enfant parce qu’il est trop sur l’ordinateur et être soi-même incapable d’en décrocher, dire à son enfant « je t’aime » sur un ton agacé, ou lui demander d’être libre et autonome dans la vie tout en veillant à ce qu’il réponde constamment à nos besoins, à nos désirs. « Si un parent pratique en permanence cette « double contrainte » - grandis mais pas trop, deviens un adulte mais reste un enfant, affirme-toi mais fais-moi plaisir -, l’enfant sera sans doute exposé à des difficultés existentielles (« Qui suis-je ? Quel être mon parent veut-il que je devienne ?) qu’il aura du mal à surmonter », prévient le philosophe Michel Lacroix, auteur de « Paroles toxiques, paroles bienfaisantes, pour une éthique du langage » (Robert Laffont).

Les étiquettes et les phrases assassines tu fuiras.

« Une maladresse ponctuelle, un mot « de travers », prononcé sous le coup de la colère, de l’agacement, de la fatigue n’est pas grave, souligne Michel Lacroix. Ce sont lorsqu’elles deviennent des tics de langage, des habitudes syntaxiques, que ces paroles deviennent délétères. Ce « t’es bête » ou « t’es méchant » prononcé à tout bout de champ risque en effet de se sédimenter, avec une conséquence redoutable : l’enfant se construit autour et avec cette étiquette. Une fois adulte, il pourra passer des années, voire sa vie entière, à tenter de décoller cet adhésif qui lui colle à la peau... L’étiquette est une prison mentale. Quant aux petites phrases qui font du mal (voir encadré), je crois qu’elles sont d’autant plus toxiques qu’elles ne sont pas perçues comme telles, qu’elles sont distillées dans le suc d’une parole affectueuse ou dite « objective » : « Eh oui, tu es une tête de mule, c’est comme cela ». Ce sont bien souvent des paroles d’amour empoisonnées. »

Le moins possible la télé tu allumeras.

La télé, inoffensive ? C’est qu’on aimerait croire tant elle nous est devenue indispensable pour nous vider la tête après une journée de travail, garder les enfants tranquilles, ou simplement souffler… Pourtant, dans un livre édifiant, « TV Lobotomie : la vérité scientifique sur les effets de la télévision » (Max Milo), Michel Desmurget, docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’Inserm, démontre, études scientifiques à l’appui, que le petit écran est un vrai fléau affectant (entre autres) le développement cognitif d’une façon directe (problèmes attentionnels, retards de langage, difficultés en lecture, assèchement de la créativité et de l’imaginaire…) mais aussi indirecte (moins de temps consacré à la lecture, aux devoirs, désordres du sommeil). Le résultat est terrifiant : « Deux heures de télé par jour à la maternelle et l'enfant aura entre trois et six fois plus de risques de souffrir de retards de langage. » Mais ce n’est pas tout. « La télé prévient aussi l’ennui, souligne le chercheur. Or l’ennui est un espace constructif, dans lequel s’articulent des pensées, des rêves, des projets. Une étude récente a montré que l’ennui provoque aussi une forte activation des aires cérébrales impliquées dans les processus de raisonnement projectif et de résolution de problèmes. » A la lecture de ces données, on comprend mieux pourquoi « une heure de télé par jour à l'école primaire augmente pour l’élève de 43% le risque de devenir un adulte sans diplôme »… 

Les institutions tu respecteras.

« Jeter le discrédit sur les institutions (éducation nationale, police, justice…) revient à contester leur autorité, et à remettre en question la société dans laquelle on vit, fait remarquer Virginie Dumont. Ce qui n’encourage guère un enfant à grandir. Cela ne signifie pas qu’il faille perdre tout sens critique, toute capacité de discernement, mais il y a un fossé entre reconnaître que « oui, en ce moment, ça ne fonctionne pas bien dans telle institution » et affirmer péremptoirement que « tous les fonctionnaires sont des imbéciles paresseux » ! Or force est de constater que dénigrer l’éducation nationale, par exemple, est devenu un sport national : si l’enfant a des difficultés de lecture, c’est la faute de la « nouvelle méthode » ; s’il est insupportable en classe, c’est que l’enseignant manque d’autorité, il est tellement mignon à la maison ; les matières enseignées ne servent à rien, la preuve, tout oublier n’empêche pas de réussir dans la vie, etc. Attention à ne pas décrédibiliser les adultes qui s’occupent de votre enfant dans leur fonction… Ni à surdramatiser, poursuit Virginie Dumont. Voir la vie comme une menace perpétuelle, trouver que « tout fout le camp de nos jours »… n’est pas la meilleure manière de donner confiance à l’enfant dans son avenir. S’il faut le sensibiliser aux risques majeurs d’aujourd’hui (accidents de la route, drogues, sida…), pas question pour autant de construire un discours éducatif basé sur l’angoisse et la peur, voire de relayer le catastrophisme de certains messages de prévention, comme « Manger tue ! », qui peuvent être mal interprétés par les enfants les plus fragiles… »

En adulte tu te conduiras.

Fini l’autoritarisme, bonjour l’écoute, le dialogue, la proximité. Et tant mieux. Nous n’avons jamais été aussi proches aujourd’hui de nos enfants. Mais à vouloir coûte que coûte transformer la famille en havre en paix, « certains parents traumatisés par leur éducation trop rigide ne recherchent que le bien-être au travers de relations gratifiantes avec leurs enfants, au mépris parfois de leur rôle de tuteurs et de guides », constate Béatrice Copper-Royer, psychologue-psychothérapeute. Or, comme l’explique l’auteur de « Vos enfants ne sont pas de grandes personnes » (Albin Michel), « les enfants ont besoin d’un modèle mais aussi d’un cadre structurant pour grandir. En se comportant en copain, en invitant son enfant à partager son intimité, le parent va à l’encontre du processus d’individuation qui tend à la séparation, à l’autonomie, à la recherche d’altérité. Affirmer qu’on n’est pas sur la même marche générationnelle lui permet de comprendre les liens de filiation et d’accéder à son identité sexuelle. Sans compter, souligne la psy, que jouer la proximité cache parfois des sentiments moins avouables : peur de vieillir, désir inconscient de garder son enfant pour soi ou de l’utiliser comme substitut à un conjoint défaillant… »

Les phrases qui « tuent »

- « Tu étais vraiment mignon quand tu étais petit »
- « Tu vas me rendre folle ! »
- « Mais qu’est-ce que j’ai fait pour avoir un enfant pareil ? »
- « Laisse tomber les maths, c’est pas ton truc »*
- « Si tu continues de pleurer, je te laisse ici et tu te débrouilles pour rentrer tout seul à la maison »*
- « Moi, je suis grand, j’ai le droit »
- « Tu ne veux pas me faire un bisou ? Ca m’est égal, de toutes façons, je ne t’aime plus ! »*
- « Tu as encore fait tomber ton verre, qu’est-ce que tu peux être maladroit ! »*
- « A cette heure-ci, tu aurais dû terminer tes devoirs, c’est pas comme ça que tu vas réussir tes examens ! »*

extraites de « Devenez un parent coach » de Brigitte Gicquel-Kramer et Christine Dimajo-Donati (Editions J.Lyon)

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